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Appel à contribution Nouvelle Revue de Psychosociologie

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N°39 – Recherche-action, Enjeux relationnels et lieux de vie
Parution : Printemps 2025

Sous la direction de
Sylvie Blangy, Jacques M. Chevalier et Christian Michelot


ARGUMENT

Ce numéro de la Nouvelle Revue de Psychosociologie cherche à explorer les voies de la convergence entre la psychosociologie, les sciences humaines cliniques et les sciences de la vie et de la terre, au sein de ce vaste chantier que constitue la recherche-action participative. Ces convergences apparaissent déjà tant dans les enjeux communs d’habitabilité que portent, sous une forme ou sous une autre, les recherches-actions participatives que dans les enjeux relationnels de leurs démarches.


Recherche-action participation
La recherche-action participative (RAP) prend parti pour une science-en-société qui permet à la recherche de retrouver sa « demeure », pour ainsi dire. Elle vise à « réhabiliter » le vivre ensemble rendu possible par le dialogue, la réflexion rigoureuse et l’action concertée. La recherche-action participative est une action délibérée et méthodique, visant un mieux-être dans le monde réel, engagé à petite ou à grande échelle, englobée par un projet de société et se soumettant à certaines disciplines pour générer de nouvelles connaissances et projets de sens. Cette démarche répond à la fois aux visées pratiques des acteurs et au développement des sciences de l’humain, de la vie et de la terre, par une collaboration entre chercheurs-accompagnateurs et praticiens réflexifs qui les relient selon un schéma éthique mutuellement acceptable.


Pour autant, articuler en une même seule démarche des visées de recherche, d’action et de participation qui répondent à cette définition générale ne va pas de soi. Au point qu’on peut définir les recherches-actions comme autant d’efforts originaux, souvent réussis mais parfois maladroits, pour articuler entre elles ces visées, dont on reconnaitra qu’elles ne convergent pas naturellement et qu’elles peuvent tout autant s’alimenter que se contrarier. On est amené alors à s’intéresser aux processus par lesquels ces visées peuvent être tenues ensemble et articulées dans une pratique de la recherche qui, contrairement à la science surplombante, accompagne les acteurs dans les champs d’action qui les concernent et restitue du même coup leur capacité de contribuer à l’avancement de la connaissance.


Un autre facteur rend la tâche d’autant plus difficile : la recherche-action participative n’est pas une théorie. Elle se décline au pluriel dans la mesure où pratiquement toutes les disciplines et courants de pensée peuvent s’y associer. Les divergences abondent quant à la manière dont les praticiens définissent la nature et la portée des changements qu’ils souhaitent réaliser. À cet égard, quatre approches générales et leurs multiples variantes ont jalonné l’histoire de la RAP. L’approche pragmatique est centrée sur le rationnel et l’utile, à la Lewin. Les connaissances qu’elle génère favorise la résolution de problèmes et la démocratisation des rapports de travail et du leadership en milieu organisationnel ou associatif, pour une plus grande humanisation des rapports de production et de gestion à l’ère techno-industrielle. L’approche critique privilégie les actions émancipatrices et les mouvements de lutte contre la pauvreté et l’injustice sociale, d’inspiration freirienne, marxiste, gramscienne, féministe ou habermassienne. Elle souligne l’importance de la pensée critique et de l’action anti-hégémonique. L’approche naturaliste met davantage l’accent sur l’observation empirique et l’éducation aux sciences de la nature, notamment la biologie, à la manière de la Société Nationale Audubon, fondée en 1905. Sans exclure ses retombées dans le champ de l’action, et en particulier celui de la conservation, la promotion des sciences citoyennes s’inscrit plus souvent qu’autrement dans un projet de société de longue durée motivé essentiellement par la quête du savoir pour le savoir. Enfin, l’approche psychosociologique accorde une place prépondérante aux aspects subjectifs et aux enjeux relationnels de la vie en société, en incluant les prises de conscience nécessaires au changement transformationnel. Cette approche offre une panoplie d’adaptations groupales des « thérapies par la
parole », d’inspiration freudienne, psychodynamique ou autre, où le groupe est considéré comme lieu d’articulation du psychologique et du sociologique. Malgré leurs affinités historiques et conceptuelles, l’idée que l’expression « recherche-action
participative » puisse chapeauter ces différentes approches est loin de faire consensus. Chaque école de pensée choisit son propre nom et son cri de ralliement, ce qui a pour effet de balkaniser la «recherche en société ». Plusieurs questions se posent alors. Quant à la recherche tout d’abord.


Comment peut-on créer de nouvelles passerelles qui permettraient aux sciences dites « impliquées » de se féconder mutuellement et d’approfondir leur compréhension du réel ? Comment valoriser la diversité des approches et de leurs méthodes tout en assurant leur cohabitation et convergence dans la construction d’un nouveau rapport des sciences au savoir et à la vie en société ? S’agissant plus spécifiquement des recherches-actions participatives relevant des sciences de la vie et de l’environnement, on se demandera comment se combinent les méthodologies expérimentales pratiquées dans ces disciplines et les approches relevant des sciences de l’humain ? Quant à l’action : comment l’accompagnement de l’action en situation complexe peut-il s’accorder avec les recherches scientifiques dont la temporalité et les intérêts sont nécessairement circonscrits ? Quant à la participation : dès lors que la recherche se joint à l’action, comment spécifie-t-on les rôles respectifs du chercheur et de l’acteur ? Ou encore comment tenir compte des rapports sociaux dans lesquels s’inscrit la démarche ? Que se passe-t-il dans les situations où les différents protagonistes n’ont ni les mêmes enjeux ni les mêmes intérêts à l’égard de la recherche ? Quels sont les processus concrets par
lesquels passent leur collaboration et la co-construction des savoirs ? Quels sont les leviers, les obstacles, les écueils à ces collaborations ? Les contributions souhaitées pourront se saisir d’une ou plusieurs de ces questions.


Lieux de vie
Aujourd’hui les recherches-actions participatives connaissent un développement sans précédent, notamment dans les sciences de la vie et de la terre. Elles expriment les préoccupations citoyennes face aux grandes crises sociétales et planétaires de notre ère et face aux problèmes qui en résultent localement.

En effet, de façon nette depuis les années 2010, des pratiques participatives inspirées de la rechercheaction prennent pour objet des questions de souveraineté alimentaire, d’agroécologie, de transition énergétique et écologique, de biodiversité, de résilience urbaine et d’impact des activités de développement économique, de l’extraction minière sur des communautés isolées autochtones… On voit de nombreux collectifs se réapproprier l’initiative de la formulation des questions de recherche à partir de leurs propres enjeux. Ici des collectifs de lutte se tournent vers la recherche pour légitimer leur action et contester les expertises qu’on leur oppose. Ailleurs se mettent en place des consortiums associant citoyens, laboratoires de recherche, expérimentations sociales (living lab). En Europe francophone, en Belgique notamment, où se sont diffusés des « moyens habiles » pour ce type de
recherche, se constituent des réseaux de praticiens de la recherche-action participative. Enfin, depuis peu, des institutions publiques, des fondations, des universités s’engagent dans le financement de projets de recherche-action participative. Pour n’évoquer que la France, l’Ademe et 3 fondations (Fondation de France, Carasso et Agropolis) ont récemment financé 47 projets pendant 5 ans dans le cadre du programme CO3 (Co-Construction des Connaissances) dont s’inspire désormais l’Agence Nationale pour la Recherche (programme Sciences Avec et Pour la Société). La multiplication des lieux de dialogue et de transformations mutuelles est particulièrement visible dans le monde agricole où l’Institut National pour la Recherche Agronomique (aujourd’hui INRAE) a eu un rôle pionnier.


Dans le champ médical, l’INSERM soutient des programmes de recherche-action avec des associations de malades. Nous faisons l’hypothèse que ces multiples recherches-actions ont pour enjeu commun l’« habitabilité » du monde: rendre le monde vivable, garder le monde vivant. Dans le champ des sciences humaines il s’agira de l’habitabilité du quartier, de la ville, du pays menacé par les ségrégations sociales, de l’habitabilité de ces organisations et de ces entreprises qui mettent à mal la dignité de celles et ceux qui y travaillent, de l’habitabilité également de ce corps qui souffre et dont le « patient » est de plus en plus dépossédé, sous l’emprise de la technocratie médicale, de la biopharmaceutique moderne et des institutions de prise en charge médicale. Mais il y a aussi l’habitabilité de la Terre, de cette mince pellicule à la surface du globe terrestre habité par toutes ces espèces végétales et animales dont plusieurs sont grandement menacées. Habitabilité des innombrables lieux et milieux de vie fragilisés par des crises majeures (changement climatique, perte de la biodiversité, crise économique, épidémies, etc.) dont la résolution nécessitera l’implication pleine et entière des citoyens.


Dans ce contexte, une nouvelle éthique des relations entre Science et Société se dessine. Il ne s’agit plus d’extraire les observations, connaissances ou réflexions du citoyen afin d’alimenter la base de données et l’analyse du chercheur, mais bien de co-construire des projets de recherche adaptés dont le déroulé sera caractérisé par une collaboration permanente aboutissant à une meilleure compréhension des phénomènes et à l’élaboration conjointe de solutions.

1. Les contributions qui chercheront à mettre ces hypothèses au travail seront les bienvenues.

1 GDR PARCS ; https://websie.cefe.cnrs.fr/gdrparcs/le-manifeste-du-gdr-parcs/

Enjeux relationnels


Pour que la recherche habite la société comme en sa demeure, il faut que les démarches de rechercheaction soit elles-mêmes habitées par toutes leurs parties prenantes. Qu’elles permettent une réelle implication des citoyens dans l’avancement de la connaissance, mais aussi une participation « habile » des chercheurs aux efforts de transformation individuelle et collective. Que ces démarches permettent en quelque sorte d’ « habiter » l’espace, le corps et l’affect dans nos rapports aux savoirs et aux autres. Nous posons l’hypothèse que c’est ici également, à propos de ces enjeux relationnels au sens large, ceux-là même qu’étudie la psychosociologie, que la convergence envisagée peut être féconde.


Portée par l’élan démocratique de l’après-guerre, la psychosociologie a d’emblée privilégié la recherche-action parmi les modalités de recherche. En témoigne encore le colloque que le CIRFIP organisait en 2001. Accompagnant les acteurs dans leurs efforts pour faire avancer leurs projets ou pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, les psychosociologues portent leur regard
sur les dynamiques subjectives et groupales de la coopération, des conflits et des crises qui secouent une collectivité, une organisation, une institution. Celles-ci se tournent vers des psychosociologues et des cliniciens afin de les éclairer sur les processus psychiques et relationnels auxquels les approches scientifiques habituelles, par leur extériorité, ne peuvent avoir accès. C’est en effet par l’exploration de la dimension d’intériorité des problèmes rencontrés que se dénoueront les difficultés à l’oeuvre dans les conduites personnelles et collectives qui sont à l’examen. Le regard psychosociologique est d’autant plus important que la démarche entreprise expose les personnes qui y sont engagées à des remises en question de leurs représentations ou de leur posture professionnelle. Quelles sont ces évolutions individuelles et groupales et à quelles résistances, conscientes ou inconscientes, se heurtentelles ? Comment s’actualisent-elles dans les relations entre les parties prenantes et dans les défis qu’elles doivent relever ? Voilà autant de questions que se pose la psychosociologie depuis ses tout premiers débuts.


Pourtant, le champ de la recherche et de l’intervention psychosociologiques s’est progressivement réduit à mesure que la demande sociale se tournait vers l’expertise et l’ingénierie. Aujourd’hui, les psychosociologues interviennent surtout pour accompagner des équipes (régulations, interventions en situation de crise) et des personnes (coaching, psychologie du travail), ou pour conduire des analyses des pratiques professionnelles, sans oublier la prévention des risques psychosociaux. Les enjeux heuristiques et politiques de ces pratiques sont de ce fait souvent relégués au second plan ou minimisés.


Même si nombreux praticiens ont la vive conscience que leurs pratiques sont porteuses de connaissances à portée générale et d’enseignements pour le travail démocratique, l’arrimage de l’accompagnement psychosociologique à la recherche-action s’est affaibli. Pour autant la psychosociologie continue à produire des recherches-actions de grande qualité. Dans des contextes
souvent difficiles où des événements violents, déroutants et parfois sidérants suscitent le découragement, la peur et le rejet, elles font la preuve de leur capacité à rétablir une continuité de sens, redonner de la lisibilité aux événements et par là à restituer aux acteurs leur capacité instituante.


La « recherche en société » aurait beaucoup à perdre d’une contraction des apports de la psychosociologie. Qu’ils soient d’inspiration pragmatique, critique ou naturaliste, les démarches de recherche-action ne peuvent sous-estimer les défis psychiques, intersubjectifs et relationnels qu’il incombe aux acteurs et aux chercheurs de mieux comprendre et de relever de manière réfléchie et concertée. La question qui se pose, de manière générale, est alors la suivante : comment la RAP peut-elle créer des lieux et des processus qui permettent aux chercheurs et aux acteurs d’habiter des espaces de médiations collectives, le plus souvent groupales ? Comment par exemple ces médiations innovantes, tels que les « moyens habiles » mis au point par Jacques Chevalier, Daniel Buckles et Michelle Bourrassa, permettent-elles de mettre en jeu les corps, les objets et les affects qui interviennent dans la construction du savoir, du rapport à l’autre et de l’action collective ? De même, dans plusieurs programmes récents, un « tiers veilleur » a été imposé comme traducteur et médiateur entre les parties prenantes, académiques et société civile. Le travail de co-construction des questions de recherche, de collecte, d’analyse… génère des tensions quant à la conduite de cette collaboration.


Cela demande aux chercheurs d’accepter de ne plus être les détenteurs ou les fabricants de savoir. Cela génère aussi chez les citoyens une appétence pour la recherche. Les non académiques revendiquent une place dans le processus de recherche et demandent à ce que leurs connaissances soient reconnues et intégrées dans le projet. Comment ces tensions peuvent-elles être travaillées ?


C’est à des témoignages raisonnés, des analyses de ces enjeux relationnels en mode recherche-action participative que pourront également être consacrées les contributions.


Les questions que soulèvent les enjeux de convergence entre psychosociologie, disciplines cliniques et sciences de la vie et de la terre sont nombreuses. Nous espérons que les contributions que rassemblera ce numéro de la NRP constitueront autant d’appuis pour les praticiens de la recherche-action participative.


ÉCHÉANCIER


– Les projets d’article (une à deux pages maximum) sont à adresser avant le 1er juin 2024 aux personnes suivantes :
A/ Sylvie Blangy : sylvie.blangy@cefe.cnrs.fr (coordinatrice du numéro 39) ;
Jacques Chevalier : jacques.chevalier@carleton.ca (coordinateur du numéro 39) ;
Christian Michelot : christian.michelot@cirfip.org (coordinateur du numéro 39) ;
Gilles Arnaud : garnaud@escp.eu (rédacteur en chef de la NRP) ;
Florence Giust-Desprairies : giustdesprairies@wanadoo.fr (rédacteur en chef de la NRP)
CC/ Secrétaire de rédaction, Caroline Terrasse : revue-nrp@cirfip.org
– Si votre proposition est retenue,
les articles complets devront être remis à la rentrée septembre

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