Article écrit par Christophe VANDERNOTTE dont une version est parue dans la revue suisse Recto Verseau n°239 de mars 2013 dans la rubrique Coaching de Vie
Qui imaginerait obtenir, en rassemblant les morceaux épars de son expérience, un terreau fertile abritant en son sein les ferments d’un nouveau développement ?
Telle est pourtant la finalité de la démarche autobiographique. A l’origine, il s’agit d’une méthode élaborée par un pionnier de la formation permanente, Henri Desroche. Soucieux de valoriser l’expérience des adultes qui s’engagent dans un cursus universitaire, il conçoit, à partir des années 1970, une grille permettant de reconstituer les grandes lignes de leur parcours professionnel et social. Ce faisant, il élabore une cartographie des trajectoires humaines, un nouvel art permettant de distinguer, au-delà des évènements disjoints, les lignes de force qui font de tout parcours une composition unique.
En révélant des aspects inédits de l’expérience, la démarche autobiographique constitue un puissant levier de développement dans l’accompagnement des parcours professionnels mais aussi dans le coaching centré sur le développement personnel et existentiel.
Comment procéder ?
La démarche autobiographique comprend deux temps distincts et s’appuie sur un support de référence, la « Grille expérientielle ». Celle-ci peut être remplie, soit de manière autonome, soit dans le cadre d’un entretien au cours duquel un professionnel ou un(e) ami(e) jouera le rôle de « personne ressource ».
Outre la colonne des années, la Grille expérientielle comporte 4 colonnes structurées autour de deux grands domaines d’expérience : d’une part la formation et les études (ce que vous avez appris), et d’autre part les activités professionnelles et sociales (ce que vous avez fait).
D’un côté, donc, on trouve l’axe de la formation et des études : à la fois les études formelles (c’est votre cursus scolaire et les diplômes que vous avez obtenus) et de l’autre, les études et formations non formelles, à savoir tout ce que vous avez appris en dehors des « circuits officiels », par goût personnel ou dans le cadre d’activités de loisirs. Dans cette colonne, on trouvera pêle-mêle les formations artistiques et sportives réalisées dans un cadre associatif ou familial, ou bien liées à un engagement syndical ou politique. Ce peut être une expertise que vous avez acquise de manière autodidacte dans un domaine particulier (animaux, pierres, timbres, histoire, etc.). Vous indiquerez également tous les stages qui vous ont permis d’acquérir des connaissances dans le domaine du développement personnel ou dans le cadre d’une recherche spirituelle : astrologie, tarot, magnétisme, médecine naturelle, étude de textes sacrés, chamanisme, etc.
De l’autre, on trouve le champ des activités. La première colonne, intitulée « activités professionnelles » recense non seulement les différents emplois que vous avez occupés, mais aussi les périodes d’apprentissage, les jobs d’été, les « petits boulots » (y compris ceux qui n’ont pas été déclarés), sans compter les périodes sans emploi et les années sabbatiques. Mais les compétences que vous avez acquises ne sont pas uniquement liées à votre trajectoire professionnelle : c’est la raison pour laquelle la Grille expérientielle intègre une autre colonne nommée « activités sociales », laquelle rend compte de tout ce que vous réalisé en dehors des emplois qui vous ont permis de « gagner votre vie ». Les activités sociales incluent toutes les activités associatives (sport, art, culture, activités caritatives) mais aussi les engagements militants, les hobbies (jardinage, décoration, cuisine, modélisme), la participation à des projets collectifs et toutes vos créations, dans un domaine ou un autre. Dans cette colonne émergent les engagements, les passions, la créativité personnelle.
Modalités de mise en œuvre
La démarche autobiographique comprend deux étapes distinctes : il s’agit tout d’abord de remplir la Grille expérientielle qui va servir de canevas à la démarche ; ensuite l’objectif sera d’identifier des fils conducteurs permettant de formaliser un projet de développement.
Lors de la première étape centrée sur le recueil des données, la démarche autobiographique s’appuie sur plusieurs principes majeurs qui la distinguent d’autres approches similaires : le premier, c’est que, lorsque vous remplissez la Grille, vous notez des faits, et uniquement des faits. A savoir, par exemple dans la colonne « études formelles » : 1994 – Licence de lettres, Université Paris 8 ou bien 1985 – CAP de mécanicien – Cognac. Ainsi on aura à chaque fois un évènement ou une situation, une date et un lieu. Autre exemple, dans la colonne « activités sociales » : Mai 2002 – Formation de secouriste – La Croix Rouge – Montauban. Dans la colonne « activités professionnelles », on pourra trouver : Avril 1998-Octobre 2006 – Caissière, magasin X, Annecy.
Cette attention à recenser des faits plutôt que de se contenter d’aborder son expérience de manière globale et plus ou moins floue constitue une première caractéristique de la Grille expérientielle. Il est également essentiel de se mettre dans une posture de non jugement par rapport aux expériences vécues. Toute histoire de vie comportant des moments difficiles qui ont pu générer un sentiment d’échec, il est important, au moment de reconstruire le fil de sa trajectoire, d’aborder tous les éléments constitutifs de son expérience comme le ferait un reporter se contentant de décrire une succession d’évènements.
Enfin, à la fin de chaque colonne se trouve une ligne qui s’intitule « Mes projets » et qui rappelle que la finalité de ce travail est d’identifier de nouvelles pistes pour un développement personnel, professionnel ou social, ou tout simplement pour aller à la rencontre du sens de son existence.
Comment exploiter le matériau recueilli ?
Il existe plusieurs façons de faire fructifier le matériau recueilli. Nous présenterons une des modalités, les autres se trouvant dans le livre publié aux éditions du Souffle d’Or où la méthode est décrite de façon simple et précise.
Au départ, l’expérience se présente comme un écheveau dense et touffu dans lequel s’entrecroisent des fils de différentes couleurs. Comment les démêler ? La première façon de procéder consiste à noter les mots-clés qui viennent à l’esprit. Comment savoir si ce sont les « bons » mots ? C’est bien entendu impossible. Mais intuitivement, avec la Grille remplie sous les yeux, commencent à apparaître des « pics », des récurrences, des fils jusque-là invisibles qui commencent à dessiner une trame, un motif. Les mots-clés esquissent une première topographie qui, au-delà d’évènements qui semblent n’avoir aucun lien entre eux, révèle des lignes de force souterraines. Souvent, la personne se reconnecte consciemment à ce moment-là avec des motivations profondes et des sources de créativité qui avaient été enfouies ou laissées en jachère.
Se reconnecter avec sa créativité et son intelligence de vie
La Grille expérientielle permet de visualiser la trajectoire existentielle à travers l’articulation mais aussi la confrontation de deux grandes logiques : d’un côté, apparaît tout ce qui a amené une personne à s’intégrer socialement via ses expériences familiales, sa culture d’origine, les études réalisées ou le choix d’un métier. L’enjeu ici a été de trouver une place dans un environnement social qui offre des cadres prédéterminés dans lesquels l’individu est sommé de s’inscrire.
De l’autre, la Grille expérientielle permet de repérer tout ce que la personne a fait et développé en explorant le monde qui l’entoure, à partir de ses impulsions, de ses envies, de ses aspirations profondes. Nous ne sommes plus alors dans une logique d’intégration sociale mais dans un enjeu fondamental qui est celui de l’intégrité personnelle. Se couper de ses aspirations et de ses valeurs équivaut à laisser se tarir en soi toute source de créativité entendue non pas comme une capacité particulière dans le domaine artistique mais comme l’expression d’une sensibilité et d’un rapport au monde qui font de toute trajectoire une œuvre à part entière.
Une nouvelle naissance, entre quotidienneté et lien cosmique
Dans un environnement de plus en plus aléatoire où nombre de personnes se retrouvent aujourd’hui à 40 ou 50 ans en situation de rupture professionnelle ou sociale, la démarche autobiographique constitue une ressource majeure pour redonner un sens à son expérience, à condition d’introduire un autre principe majeur qui consiste à reconnaître à toute personne la capacité d’être experte de son existence !
En effet, si la démarche autobiographique s’inscrit pleinement dans la dynamique maïeutique que Desroche avait retrouvée chez Socrate (à savoir que par son questionnement, l’autre m’aide à accoucher de ma propre expérience), elle repose sur la conviction que toute personne a un lien unique avec le cosmos et que c’est elle, et elle seule, qui peut choisir de s’engager dans une voie où il lui faudra ajuster nécessités matérielles et enjeux existentiels, dans une harmonie porteuse de sens pour soi et pour les autres, et où se révèlera son « génie » personnel. Ajoutons que sur ce chemin, les synchronicités, c’est-à-dire les hasards significatifs, constitueront des balises importantes et autant de lumières fugitives attestant d’une forme de « magie » de l’existence.
Un enjeu individuel et collectif
Sur la base d’une expérience de plus de vingt ans, la démarche autobiographique renforce chez ceux qui la mettent en œuvre la confiance et l’estime de soi, et permet d’acquérir une perception plus objective de sa valeur et de ses compétences.
Elle inaugure souvent un nouveau rapport à soi et aux autres et conduit à rechercher un meilleur équilibre entre engagements personnels, professionnels et sociaux et expression de ses propres potentialités et aspirations. Par la reconnaissance des richesses présentes en chaque être humain, elle constitue un levier essentiel dans l’avènement d’un monde respectueux des logiques du vivant et promoteur de nouveaux rapports humains.
Christophe VANDERNOTTE