Pour apprendre : chercher et entreprendre
Pierre-Marie Mesnier nous a quittés le 14 juin 2014, terrassé par un accident cardiaque. Il était né le 5 janvier 1947 à Nœux-les-Mines dans le Pas de Calais. Son père travaillait comme directeur du personnel aux Charbonnages de France.
Agrégé et docteur-ès-lettres, Pierre-Marie se présentait plus volontiers comme « formateur d’adultes ». Après sa thèse en 1991, sur L’Acte d’apprendre, produite avec Bernadette Aumont, il opte pour un poste de maître de conférences à la formation continue de Paris III Sorbonne nouvelle, et prend dès l’année suivante la direction du Diplôme des hautes études des pratiques sociales.
A un poste peut-être plus prestigieux pour sa carrière, il préfère la route ouverte par Henri Desroche : la formation supérieure d’adultes par la recherche, l’accompagnement d’hommes et de femmes engagés sur le tard dans un parcours universitaire qui leur était inaccessible dans leur jeunesse. Pour analyser leurs propres pratiques et comprendre les phénomènes sociaux, il les initie à la démarche de recherche-action, et par là les ouvre à la rigueur d’une culture scientifique, nouvelle pour presque tous. A partir de leur histoire de vie, de leur rapport au savoir, il les invite avec finesse à passer de l’autre côté du miroir des apparences et des émotions. Il sait indiquer à chacun, pour baliser son chemin de connaissance, les lectures appropriées que son parcours amoureux de la littérature et de la philosophie lui a rendues familières. Pierre-Marie excelle dans une guidance toujours constructive. Son regard chaleureux et sa qualité de relation libèrent ces hommes et ces femmes de leur appréhension devant l’Université, entre Everest et Saint Graal.
Son écoute active ouvre la relation. Elle lui est naturelle, mais elle est aussi le fruit de trente ans d’études et de recherche sur les manières des hommes et des femmes pour penser, se former, se motiver, se doter des outils du travail intellectuel, pour coopérer, chercher, transformer et se transformer. Pierre-Marie ajoute à l’érudition l’expérience du terrain, d’abord pendant dix ans chez les Jésuites – dont deux au Cameroun –, comme enseignant de lettres. Au contact de son ami Éric de Rosny, il acquiert ce regard d’anthropologue que je retrouverai vingt ans plus tard en Nouvelle-Calédonie quand nous proposerons le DHEPS aux Kanak. Il quitte la Compagnie à l’entrée en théologie. Après deux ans à Peuple et Culture (1976-78), l’agrégation de lettres en 1978 (13e/91) et un an d’enseignement au Lycée Louis le Grand, il poursuit sur sa lancée avec les adultes, d’abord au Greta de Versailles (1979-82) puis au Cafoc de Paris (1982 à 92). Il accumule les expériences de formation dans tous les milieux, avec tous les métiers, les organisations syndicales et le monde enseignant. C’est à cette époque, au Collège coopératif de Paris, que nous avons fait connaissance.
Après une douzaine d’années de collaboration au DHEPS, à Paris III et au Collège coopératif, quelques colloques, nous dirigeons ensemble à L’Harmattan la collection Recherche-action en pratiques sociales, avant de créer en 2002, puis d’animer pendant cinq ans, le Master 2 Développement des pratiques professionnelles et sociales par la recherche-action pour former des accompagnateurs d’individus ou de groupes.
Érudit mais toujours accessible, Pierre-Marie plaçait chaque interlocuteur au centre du débat. Son humour était toujours à fleur de peau. J’entends encore son « Au secours ! » retentir devant l’étalage d’un vocabulaire inutilement sophistiqué, sans parler de son expression favorite – « ce bouquin, il me tombe des mains » – pour qualifier tel volume un tantinet prétentieux. Dans le même mouvement, sans flonflon, il avait l’art de provoquer la réflexion par telle ou telle citation de Bernanos, Giono, Platon, Hegel ou Piaget.
A l’écoute des autres plus que des modes de son époque, dont il raillait parfois les manifestations frelatées, sa force était dans sa capacité de synthèse.
Comme l’a dit son ami Jean-Michel Baudoin lors de la célébration d’adieu, Pierre-Marie aura été un « homme pluriel » comme ses prénoms. Chacun et chacune d’entre nous ne le connaît qu’au singulier. Comment connaître à la fois le chercheur en sciences de l’éducation, le formateur en Programme d’Enrichissement Instrumental ou en recherche-action, le voyageur amoureux des langues et le chanteur infatigable ? Un autre singulier de ce pluriel était en effet la musique. Baryton, Pierre-Marie chantait parfois en soliste avec quelques amis et en chœur depuis quelques années dans l’Ensemble vocal de Philippe Caillard.
Pierre-Marie ne pouvait vivre sans opéra, particulièrement ceux de Wagner. Animer pendant huit jours un séminaire sur le Ring le comblait. Et toujours le souci du partage ! Avec Françoise Tillard, il ira jusqu’à créer un master 2 d’artistes de récitals, chanteurs et pianistes d’accompagnement, pour des adultes sans cursus universitaire, master que, du reste, Paris III supprimera avant son départ en retraite, comme celui cité précédemment…
Rencontrer Pierre-Marie, créer et travailler avec lui, apprécier un tableau, un oratorio de Messiaen ou Le voyage en hiver, rire aussi, aura été une chance dans le parcours de tous ceux qui l’auront connu.